Livre de métro et leçon de vie.
Je me cultive. Tu te cultives. Il se cultive. Nous récolterons !
"L'idée qu'on puisse enseigner sans difficulté tient à une représentation éthérée de l'élève. La sagesse pédagogique devrait nous présenter le cancre comme l'élève le plus normal qui soit : celui qui justifie pleinement la fonction de professeur puisque nous avons tout à lui apprendre, à commencer par la nécessité même d'apprendre ! Or, il n'en est rien. Depuis la nuit des temps scolaires l'élève considéré comme normal est l'élève qui oppose le moins de résistance à l'enseignement, celui qui ne douterait pas de notre savoir et ne mettrait pas notre compétence à l'épreuve, un élève acquis d'avance, doué d'une compréhension immédiate, qui nous épargnerait la recherche des voies d'accès à sa comprenette, un élève naturellement habité par la nécessité d'apprendre, qui cesserait d'être un gosse turbulent ou un adolescent à problème pendant notre heure de cours, un élève convaincu dès le berceau qu'il faut juguler ses appétits et ses émotions par l'exercice de sa raison si on ne veut pas vivre dans une jungle de prédateurs, un élève assuré que la vie intellectuelle est une source de plaisir qu'on peut varier à l'infini, raffiner à l'extrême, quand la plupart de nos autres plaisirs sont voués à la monotonie de la répétition ou à l'usure du corps, bref un élève qui aurait compris que le savoir est la seule solution : solution à l'esclavage où nous maintiendrait l'ignorance et consolation unique à notre ontologique solitude.
C'est l'image de cet élève idéal qui se dessine dans l'éther quand j'entends prononcer la phrase : « je dois tout à l'école de la République ! » [â?¦]
Mais c'est plus fort que moi, dès que j'entends cette manifestation publique de gratitude, je vois se dérouler un film -long métrage- à la gloire de l'école certes, mais à celle de cet enfant surtout qui aurait compris, dès sa première heure de maternelle, que l'école de la République était prête à lui garantir son avenir pour peu qu'il fût l'élève qu'elle attendait de lui. Et honte à ceux qui ne répondent pas à cette attente-là !"
Chagrin d'école. Daniel Pennac.